On parle de post-vérité à peu près comme si tout le
monde était capable de comprendre de quoi il s’agit et à quoi ressemble cet
« après » dans lequel nous sommes censés être entrés, et peut-être
même déjà installés désormais. Mais c’est loin d’être le cas, et la question
qu’il faut se poser est celle de savoir si, dans une telle éventualité, on
disposerait encore réellement d’un langage et si l’on pourrait encore réussir à
se comprendre. Ce sont des questions qui se posent presque immédiatement et
auxquelles on ne peut échapper car, comme je l’ai déjà souligné à plusieurs
reprises, si l’on est dans la post-vérité, alors on est aussi nécessairement
dans la post-signification. À partir du moment où il n’y a plus de différence
réelle entre le vrai et le faux, où ce qui est vrai peut tout aussi bien être
considéré comme faux, il n’y a pas non plus de possibilité à continuer à donner
aux noms dune signification précise. Donc, ce n’est pas seulement la vérité qui
disparaît, c’est aussi la signification et, avec elle, la possibilité d’une
communauté de locuteurs disposant d’un langage commun dans lequel ils sont
capables de se comprendre.
Jacques Bouveresse : Les Premiers jours de l’inhumanité
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