Par-delà rien et sale

 

Notre nouveau péché originel est là, exactement inverse de l’autre, de la connaissance du bien et du mal, qui était au fond une bénédiction à nous : à présent, notre malédiction est d’être dans l’impossibilité de distinguer le bien et le mal, le vrai et le faux. Adam et Ève étaient tombés dans l’angoisse morale de la distinction, nous sommes tombés dans la panique immorale de l’indistinction, de la confusion de tous les critères. De la contamination du bien par le mal, et réciproquement. Et de ceci, le virus est le symptôme. Notre entrée dans l’ère du virus par méconnaissance de la distinction des valeurs équivaut à l’expulsion de nos ancêtres du paradis terrestre pour cause inverse de connaissance du bien et du mal. Et à partir de cette perte d’immunité, toutes les infections mortelles nous guettent, tous les péchés remontent de la scène primitive, tous les virus qui ont dormi dans nos cellules se réveillent sous le coup de la crise ! L’impuissance vis-à-vis de la dispersion des valeurs, de leur dissémination fractale est bien pire que l’antique responsabilité morale qui pesait sur les consciences.

Jean Baudrillard : Le Paroxyste indifférent

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