Source : Après la tragédie, la farce ou comment l’histoire se répète par par Slavoj Žižek, éditions Flammarion, collection Champs essais.
Il nous faut
accepter, au niveau des possibilités, que notre avenir est condamné, que la
catastrophe aura lieu, que tel est notre destin, et puis, nous détachant de
l’arrière-plan de cette acceptation, nous devons nous mobiliser pour accomplir
l’acte qui changera le destin lui-même, et partant, introduira une nouvelle
possibilité dans le passé. Paradoxalement, la seule façon de prévenir le
désastre est de l’accepter comme inévitable…
Nous sommes ceux
que nous attendions : attendre que quelqu’un d’autre fasse le boulot pour
nous n’est qu’une manière de rationaliser notre inactivité. Le piège à éviter
ici est celui de l’auto-instrumentalisation perverse : « nous sommes
ceux que nous attendions » ne signifie pas que nous devions découvrir
comment il se fait que nous soyons l’agent prédestiné par le sort (la nécessité
historique) à accomplir la tâche ; cela veut dire tout le contraire, à
savoir qu’il n’existe pas de Grand Autre sur lequel compter.
En contraste avec
le marxisme classique où « l’histoire est de notre côté » (le
prolétariat remplit la tâche prédestinée de l’émancipation universelle), le
Grand Autre, dans la constellation contemporaine, est contre nous : livré
à lui-même, l’élan interne de notre développement historique mène à la
catastrophe, à l’apocalypse ; ce qui peut seul prévenir une telle calamité
est donc un pur volontarisme, autrement dit notre libre décision d’agir contre
la nécessité historique.
En un sens, les
bolcheviques se sont trouvés dans une mauvaise passe semblable en 1921, à la
fin de la guerre civile : le 16 janvier 1923, presque un an jour pour jour
avant sa mort, au moment où il devint clair qu’il n’y aurait à brève échéance
aucune révolution à l’échelle européenne, et que l’idée d’édifier le socialisme
dans un seul pays était absurde, Lénine écrivit :
« Et si l’aspect complètement désespéré de la situation, en décuplant les efforts des ouvriers et des paysans, nous offrait l’occasion de créer des facteurs fondamentaux de civilisation différents de ceux des pays d’Europe occidentale ? »
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