« Longtemps, j'ai cherché un arbre qui s'appelait le viol »

 

Source : L’Antéchrist à l’âge classique, summulae, exégèse et politique par Jean-Robert Armogathe, éditions Mille et Une Nuits, collection Les Quarante piliers, dirigée par Pierre Legendre, relecture dix ans après.

La généalogie de l’Antéchrist reçoit un développement considérable dans une pièce de Ruiz de Alarcon, El Anticristo, écrite et représentée à Madrid en 1623 et publiée à Barcelone en 1634. La pièce relève du genre sacré, de ce théâtre religieux si représentatif de l’Espagne du Siècle d’or. De manière dramatique, avec des épisodes burlesques, une grande audace dans l’horreur et la parodie, Alarcon a osé mettre en scène l’Antéchrist, jusque dans son imitation du Christ, quand la parole est à la limite du blasphème.

La pièce comprend trois journées : elle s’ouvre sur une représentation du faux Élie : cette nuit, peu avant l’aube, « cuando son mas verdaderos los suenos », il aurait vu monter de la mer une bête. Il poursuit par une paraphrase poétique du chapitre 7 de Daniel et des chapitres 12 et 13 de l’Apocalypse : une petite corne surgit parmi les dix cornes de la Bête, dotée de deux yeux et d’une bouche, qui se transforme en un bel enfant.

Transporté en secret au paradis terrestre, il y fut élevé par de purs esprits. Dominant les autres cornes, devenu un homme à l’aspect harmonieux, il s’adresse au voyant : « Je suis le roi, le suis le Messie promis aux Juifs, je régnerai sur Jérusalem, je rebâtirai son Temple ; Betshaïde et Corozaïm qui furent de belles villes et ne sont plus maintenant qu’un humble souvenir de ce qu’elles furent, m’accueillent dans leurs déserts. »

Le faux Élie montre la marque qu’il porte sur sa main et invite les trois Juifs qui l’accompagnent à accueillir celui qui viendra donner aux Juifs la liberté, à Jérusalem son roi et un sauveur à son peuple. L’Antéchrist, vêtu d’un manteau végétal, entre en scène en compagnie de sa mère, vêtue de peaux de bêtes. 

Celle-ci, terrifiée par le cynisme de son fils et effrayée par ce qu’elle pressent de l’avenir, lui crache au visage, « hijo de maldicion », dans un long récit, son ascendance tortueuse : un Juif de Babylone, Mamzer, de la tribu de Dan, a commis l’inceste avec sa sœur Sabà : la mère de l’Antéchrist est née de cette union, pour être ensuite violée par son père, qui était son oncle. L’Antéchrist est né de cet union doublement incestueuse : son père est donc aussi son grand-père et son grand-oncle : « De l’inceste de ton grand-père, père et oncle, tu as été l’abominable effet », (« tu fuiste de tu abuelo, padre e tio / abominable incestuoso efeto »)

Mais l’Antéchrist devait, pour réussir, pouvoir garder le secret sur ses origines : aussi, il tue sa mère, après l’avoir au préalable violée. C’est ainsi qu’incestueux et matricide, l’Antéchrist va se lancer dans sa carrière publique.

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