Bal tragique à Strépy.
Satanas et Diabolo rencontrent Orange folklorique. Bilan du
ramassage : six morts, un carnaval annulé, toute une région traumatisée. Le sens
de la fête, on ne plaisante pas avec ça ! Et pourtant, la police a
retrouvé des capsules de protoxyde d’azote dans la voiture du chauffard… Défense de rire. L’heure
est grave, très grave au royaume du grotesque, sur les confins de la
mort : le bourgmestre socialiste parle d’apocalypse, Facebook tresse la
corde, un humoriste ringard appelle au calme — c’est son meilleur sketch — et De
Borsu hausse ses doubles sourcils dans son visage cireux pendant qu’à côté de
lui, son abat-jour à frange opine avec une mine de Carême et tous répètent,
avec des larmes de crocodile : deuil national… deuil national… DEUIL NA-TIO-NAL !
Pour qui sonne le glas ? Chez nous, festivus festivus oblige, on applaudit même aux enterrements, une habitude prise depuis le décès de Baudouin, revenu d'Espagne comme les oranges, lui aussi, dans une boîte ; raison de plus pour que Bruxelles nous sorte, une fois de plus, la sainte famille Saxe-Cobourg : ce drame leur
donnera l’occasion de roder la benjamine, en écolage en Angleterre. Et la
chenille redémarre… NOTRE roi de kermesse… NOTRE princesse petit-pois… NOTRE rexisme à grelots…
En revanche, les télévisions flamandes, elles, sont restées
très sobres : dès ce week-end, au sud de la Hollande, tout semblait oublié… Pour l'opération Deuil National, c'est raté. Mais chez nous, dans le nord perdu de la France, RTL et le Boulevard Reyers veillent :
il ne faut pas en gaspiller une goutte… Songez donc : Bruxelles a trouvé
pire que Poutine… Un écrabouilleur de NOTRE folklore… Ce samedi, donc, une
minute de silence a été respectée par NOTRE premier ministre, par NOTRE
gouvernement fédéral — prononcez bien le possessif à la bruxelloise, comme si
vous souffriez de constipation, poussez, poussez toujours plus fort. NÔH-TRE ROI-HAH !
Quant au chauffard — un trentenaire frimeur, à la
Bouchez, en version chicho —, il nous est présenté sous son seul prénom — en
attente de l'inculpation, les médias ne peuvent mentionner son patronyme. Du
coup, on baigne dans cette fausse familiarité visqueuse dont les belgicains ont
le secret. Les papas, les mamans, les petites victimes… Éric Deffet, un « journaliste »
du Soir croit bon de préciser : « Les victimes du chauffard sont,
pour la plupart, d’origine italienne, ce qui prouve leur intégration à NOTRE
pays. » Ainsi donc, on s’intègre en participant à un cortège
carnavalesque ? Si c’était aussi simple…
Il faudrait demander aux Flamands qui, eux aussi, ont une
certaine idée du folklore : un chouïa plus agressive. Le folklore flamand
défile en uniforme et en armes, sous un Lion à la gueule fétide et aux pattes
griffues. Pour leurs cortèges de carnaval, comme à Alost, nos « amis »
flamands montrent des Wallons se faire déporter par la N-VA. Là, tout le monde rigole et trouve ça normal. En revanche, quand leur carnaval montre des Juifs avec
un nez crochu, c’est impardonnable… Pourquoi ce deux poids deux mesures ?
En prison, donc, Paolo, le responsable de l’accident,
est surveillé tous les quarts d’heure, au cas où il lui viendrait l’envie de de
se suicider. Pourquoi en finir maintenant, on
commençait tout juste à se lasser. J’ignore si les matons, inspirés par un
roman de Nabokov, lui proposent du Minute Maid ou s’ils paradent à tour de rôle
devant le judas couverts de plumes en agitant des clochettes.
Dans Le Rêve des machines, Günther Anders
s’adresse à un pilote de chasse américain qui transportait une bombe au-dessus
de l’U.R.S.S., avant d’être capturé par les Soviétiques et à qui ses compatriotes
reprochaient de ne pas s’être suicidé au lieu de se rendre. Anders dit au soldat
: « Vous voyez : vous étiez vous-même devenu une machine à tuer, prêt à
causer la mort de milliers d’innocents, et, à présent, ceux qui vous ont programmé
à être aussi aveugle et impitoyablement efficace vous reprochent
de ne pas vous être simplement débranché, comme une machine qu’on éteint. »
Ici, c’est l’inverse : il faut sauver le pilote
Paolo, l’empêcher à tout prix de se suicider. Sans doute Paolo, l’ignore-t-il
mais, grâce à lui le Belgium se retrouve une façade d’unité, pour un mois, deux
mois... Enfin, pas plus… Certes, le fait divers fait diversion, c’est un folk-leurre essentiel
quand on n’a pas d’Histoire, ni de mémoire, ni de projet politique… mais la
pulpe retombe vite. Même avec un bon canard aux oranges sanguines, avec des pattes cassés, avec
des Gilles qui retombent, quilles fauchées par une boule de bowling, on risque
de ne pas tenir jusqu’au prochain psychodrame électoral, lorsque De Wever nous rejouera
son petit chantage séparatiste de notaire tyrolien en Lederhosen et que les néo-rexistes qui
dirigent la Wallonie lui cèderont sur tout, en échange de leurs sinécures. Bas les masques ! Finie la pseudo-solidarité-belge...
De grâce, Paolo, ne vous pendez pas aux barreaux de votre cellule : le Barnum belge a encore besoin de vous. Le Tribunal des Poireaux de Tilff requiert un Cramignon d’excuses publiques, assorti d’un Doudou peine plancher !
Mais dans son
enfer, Paolo ne nous entend pas. Que s’est-il donc passé, ce fatidique dimanche
matin ?
À l’aube, vers quatre heures, en revenant du dancing, Paolo
se souvient d’avoir déposé Francesca chez elle. Son cousin, lui, somnolait sur
le siège passager, le siège du mort : « J’ai cru que j’avais
rêvé. » Il roulait vite, Paolo… Sans doute pour l’impressionner… Chiche,
que je suis cap… Franchir le mur du con... Trouer l'ennui poisseux de cette immonde Belgique... J’ai gonflé le moteur à 260… Soudain, un choc mou, atroce… Un
enfoncement de tôle… Un grand trou dans le pare-brise… Du sang, des plumes
multicolores, des hurlements… Paolo se cogne la tête au plafond… Des éclats de
verre lui tailladent le visage… D’abord, il s’imagine avoir percuté un troupeau
d’autruches, puis, sur ses genoux, il sent le poids d’un corps désarticulé… Deux victimes ont
rebondi sur le capot, traversé l’habitacle… Le véhicule a encore roulé un
kilomètre avant de s’arrêter dans une rue adjacente.
Mon Dieu, qu’est-ce que j’ai fait ?, se demande à présent Paolo, dans sa cellule. Rien ne le signalait, ce maudit ramassage… Il aurait dû le savoir : en Belgium, c’est tous les jours guindaille… On se murge jusqu'à plus soif, biture-à-la-mort, pour oublier quelle horrible chance on a d'être si dégueulassement belges. Depuis le préau, des cris parviennent à Paolo : ses codétenus organisent un défilé de rôdjes makrâles sous sa fenêtre. Lui a tué par imprévoyance, par sottise, par la faute du démon de la perversité dont parlait Edgar Poe ; eux, les autres détenus, ils ont tué de sang-froid, mais ils se retrouvent tous une conscience sur le bouc.
Spirale mimétique : la prison
reproduit le même hideux carnaval qu’à l’extérieur. Les mêmes faces congestionnées... Le même mensonge hypocrite... Tout le monde cherche son
bouc… Tout le monde cherche sa Belgique… Où a-t-elle encore roulé, dans quel journal de caniveau, dans quel vomi royal de lendemain de beuverie désespérée ?
Courage, Paolo, faites confiance au folklore de votre pays. Vous commencez enfin à vous réveiller d’un long cauchemar, comme à la fin de Crime et châtiment, mais le bout du tunnel est encore loin. Avec un peu de chance, quand vous sortirez, vers la moitié de votre peine — on prend une orange, on la coupe en deux, on la presse —, vous pourrez peut-être piloter un char de carnaval avec l'effigie de NOTRE roi, de NOTRE premier ministre, de NOTRE gouvernement fédéral, de NOTRE...
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