Source :
Le Crocodile ou la Guerre du Bien et du Mal par Louis Claude de
Saint-Martin
Les portes de ce temples s’ouvrirent et laissèrent
apercevoir une grande salle fort mal tenue, et personne dedans, et la jeune
vierge dit : « Apprenez par là combien après leur mort les savants
ont à rabattre de l’idée qu’ils se font tous de leur temple de mémoire. »
On vit que les toits de ce temple étaient en mauvais état, et la jeune vierge dit : « Ce sont les astronomes qui les ont ainsi dégradés, en y établissant sans précaution leur observatoire, et les astronomes ne peuvent plus même y continuer leurs observations. Au reste, cette perte serait plus grande si ces hommes distingués par leurs talents ne se fussent pas bornés à vous tracer régulièrement la marche des coursiers célestes, et qu’ils vous eussent mis au fait des dépêches dont ces coursiers sont chargés, car vous savez que l’homme est encore plus curieux de nouvelles que de l’itinéraire de ceux qui les portes.
On vit au sommet des cheminées quelques têtes un peu
couvertes de suie, et, chantant les chants d’usage parmi nos savoyards en
pareille circonstance, la jeune vierge ajouta : « Ce sont quelques
poètes qui, n’ayant pas pu trouver de place dans le temple de mémoire, ont
mieux aimé y servir comme ramoneurs et s’y faire entendre en cette qualité, que
de rester ignorés, et dans le silence.
On vit dans les caves, par les soupiraux, quelques
personnages à longues robes, enseignant à des oiseaux en cage à prononcer des
noms très fameux, et la vierge d’expliquer : ce sont des philosophes qui
n’ont pas eu par eux-mêmes le moyen d’obtenir des places dans le temple de
l’immortalité, et qui ont mieux aimé se faire célébrer par des êtres sans
intelligence, que de demeurer inconnus, et de ne pas faire parler d’eux.
On vit que les murs de ce temple étaient pleins de
crevasses, par les eaux que la dégradation des toits y laissait parvenir, et on
vit en même temps des hommes portant du mortier sur leurs épaules, et montant à
de longues échelles, pour aller remplir des crevasses, mais ils montaient si
lentement que le mortier était sec avant qu’ils fussent arrivés, et il
retombait à terre lorsqu’on voulait l’employer ; et la jeune vierge
déclara :
« Ce sont des docteurs qui, ayant passé leur vie dans les vaines sciences des hommes, croient encore être utiles ici par cet humble et stérile emploi, plutôt que d’ouvrir les yeux sur leurs abusives occupations : ils s’étaient persuadés qu’ils auraient une place importante dans le temple de l’immortalité, et ils sont réduits à ne travailler qu’à sa surface, et même à n’y travailler qu’en qualité de manœuvres et à n’y faire que des réparations continuellement infructueuses et, à ces derniers mots, tout disparut.
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