La relation désinvolte que
j’ai envers ma propre vie vient de là. Ma vie est devenue progressivement le
matériau de mes écrits ; et j’aurais pu, des années durant, en me pressant
comme un citron, puiser des mythes dans la source de ma vie, et en tirer des
honoraires, et puis, le plus tranquillement du monde, peaufiner mes rimes et
mes rythmes, mes pages auraient fourni aux futurs spécialistes de l’histoire
des styles de quoi s’occuper longtemps… Mais voilà, je ne veux pas… Je
m’interromps moi-même… J’interromps l’écrivain… « Mais arrête donc, tu
t’es assez amusé avec tes tours de prestidigitation, où est ton point
sacré ? » Il n’existe plus, le rayonnement qui émanait de lui et qui illuminait ton âme a recouvert l’ordonnancement de ta phrase, alors, ta
phrase, brise-la, écris… écris comme écrirait un cordonnier. Et j’écris comme
un cordonnier. J’écris… et pour dire quoi ? Je n’en ai pas encore la
moindre idée.
Andréi Biély : Carnets d’un toqué
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