Source :
Le Bleu du ciel par Georges Bataille, éditions Gallimard, collection
L’Imaginaire.
Maintenant, j’aime mieux aller jusqu’au bout… Si vous
voulez, je vais tout vous raconter. A un moment donné, à Prüm, j’ai imaginé que
j’étais impuissant avec Dirty parce que j’étais nécrophile.
— Qu’est-ce que vous dites ?
— Rien d’insensé.
Lazare réagissait peu, comme s’il s’agissait d’une
gaminerie outrecuidante. Elle répliqua : « Vous avez
essayé ? »
— Non, je n’ai jamais été jusque-là. La seule chose qui
me soit arrivée : une nuit que j’ai passée dans un appartement où une
femme âgée venait de mourir : elle était sur son lit, comme n’importe
quelle autre, entre les deux cierges, les bras disposés le long du corps, mais
pas les mains jointes. Il n’y avait personne dans la chambre pendant la nuit. A
ce moment-là, je me suis rendu compte.
— Comment ?
— Je me suis
réveillé vers trois heures du matin. J’ai eu l’idée d’aller dans la chambre où
était le cadavre. J’étais terrifié, mais j’avais beau trembler, je restai
devant ce cadavre. A la fin, j’ai enlevé mon pyjama.
— Jusqu’où êtes-vous allé ?
— Je n’ai pas bougé, j’étais troublé à en perdre la
tête ; c’est arrivé de loin, simplement en regardant.
— C’était une femme encore belle ?
— Non, tout à fait flétrie.
Je pensais que Lazare finirait par se mettre en colère,
mais elle était devenue aussi calme qu’un curé écoutant une confession. Elle se
borna à m’interrompre : « Cela n’explique en rien pourquoi vous êtes
impuissant ? »
— Si, du moins, quand j’ai vécu avec Dirty, je pensais
que c’était l’explication. En tout cas, j’ai compris que les prostituées
avaient pour moi un attrait analogue à celui des cadavres. Ainsi, j’avais lu
l’histoire d’un homme qui les prenait le corps poudré de blanc, contre-faisant
la morte entre deux cierges, mais là n’était pas la question. J’ai parlé à
Dirty de ce qu’on pouvait faire et elle s’est énervée contre moi…
— Pourquoi Dirty ne simulait-elle pas la morte par amour pour vous ? Je suppose : elle n’aurait pas reculé pour si peu.
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